Une petite histoire de la lunette astronomique
Pierre Henrotay


Inspiré de : Les grands observatoires du monde, Brunier et Lagrange, Bordas 2002, ISBN 2-04-760026-X ; cet excellent ouvrage récent retrace, à la manière d'un guide de voyage, l'histoire de chaque site, dresse le bilan des observatoires actuels et évoque les futures perspectives.

L'invention de la lunette astronomique est probablement due à un artisan opticien hollandais, Hans Lippershey (1570-1619), et non à Galilée comme beaucoup peuvent le croire.

Galilée (1564-1642) a réalisé la sienne avec beaucoup de soin, en polissant une lentille concave et une convexe. D'un diamètre de 30 mm et grossissant entre 20 et 30x, cette lunette lui a permis de découvrir que la Lune avait des cratères, montagnes et mers ; que Jupiter reproduisait un système solaire en miniature, que là où l'œil nu ne distingue rien, des étoiles inconnues apparaissent, que la Voie Lactée est faite d'étoiles.


Lunette de Galilée

Au cours des XVII et XVIIIème siècles fleurissent en Europe les " longues lunettes à faire peur aux gens ". Elles sont au début le résultat d'un bricolage empirique, et sont imparfaites. Pourtant dès la moitié du XVIIème siècle, les opticiens s'attachent à trouver de nouvelles formules optiques et à offrir à l'observateur des images...moins floues. Car avec son petit diamètre et ses nombreuses aberrations optiques, la lunette de Galilée ne lui permit pas de découvrir les anneaux de Saturne, ni de dépasser la 9ème magnitude ou encore de résoudre des objets séparés de moins de 10 secondes d'arc.

La tare majeure de ces instruments est l'aberration chromatique : plusieurs images d'un même astre se forment à une distance différente les unes des autres, et ce en fonction de la couleur.


Lunette de Kepler

Au cours du temps, c'est la formule optique mise au point par Kepler (1571-1630) qui va être adoptée : basée sur deux lentille convexes (objectif et oculaire), les lunettes atteignent bientôt des longueurs démesurées : c'est qu'en diminuant la courbure des lentilles - et donc en allongeant la focale - les aberrations chromatiques diminuent et que donc de meilleures images sont obtenues. Les lunettes construites à partir du XVIIIème siècle deviennent gigantesques. Tubes de bambou, portiques de bois, câbles et cordage : tout y passe pour créer des assemblages que plusieurs assistants manœuvrent sous les ordres de l'observateur.

Huygens (1629-1695) découvre les anneaux de Saturne ainsi que Titan, son plus gros satellite. Sa lunette de 37 m de longueur lui fait découvrir des détails sur Mars : la calotte polaire et Syrtis Major, en 1659. La grande lunette de l'observatoire de Paris, fondé par Colbert en 1667 sous Louis XIV, permet à son directeur Cassini de voir des détails de 2 secondes, ajoutant à Saturne quatre satellites et observant la division des anneaux qui porte son nom. La lunette est si longue qu'une tour est construite pour la supporter (la tour de Marly).
La course au gigantisme ne s'arrête pas : la " machine céleste " de Hevelius (1611-1687) fait 46 m de long mais ne lui servira guère : il devient clair que les lunettes géantes sont bien difficiles à manœuvrer et que leurs images sont bien imparfaites.
Et en effet, en 1672, Newton présente à la Royal Society de Londres son télescope à miroirs, où l'image est dénuée d'aberration chromatique. L'engin a un miroir de 37 mm de diamètre, grossit 38 fois et fait une distance focale de 160 mm. Un lunette de même diamètre fait à l'époque entre 3 et 10 m de longueur .
Mais deux siècles passeront encore avant que le télescope à miroir ne s'impose véritablement : les miroirs avaient un pouvoir de réflexion assez faible, étaient donc peu lumineux et se ternissaient rapidement.

 

150 ans après la première observation de Galilée, une solution au problème de l'aberration chromatique est enfin apportée. L'opticien anglais Dollond (1706-1761) associe dans un même objectif deux lentilles, une convexe et l'autre concave, polies dans des verres d'indices de réfraction différents : le chromatisme est ainsi fortement réduit, sans être totalement éliminé.

Les lunettes achromatiques de la fin du XVIIIème sont surtout des méridiennes : elles ont dirigées selon l'axe nord-sud et peuvent seulement être orientées dans le plan vertical. Elles permettent aux astronomes de dresser des cartes du ciel de plus en plus précises : Flamsteed (1646-1719), fondateur de l'observatoire de Greenwich, publie un atlas de 2866 étoiles (mesurées à 10 secondes d'arc près) ; celui de Lalande en dénombre plus de 47000. Dans ce gigantesque effort de cartographie céleste, les astronomes se rendent compte que les étoiles ne sont pas fixes, mais qu'elles ont un mouvement propre.
En 1806, Fraunhofer (1787-1826), opticien allemand, réalise des lentilles de qualité exceptionnelle. Une lunette de 16 cm de diamètre construite par Fraunhofer, permet à Bessel de mesurer la parallaxe de l'étoile 61 Cygni et de déterminer sa distance par triangulation, soit 10 années-lumière.

Pendant ce temps, les télescopes à miroir de grand diamètre et de meilleure qualité voient le jour : Herschel (1738-1722) avec des engins de 23 cm de diamètre (3 m de focale) puis de 1,2m de diamètre (12 m de focale),
Parsons Comte de Rosse (1800-1867) et son Leviathan, avec un miroir de 1,8 m de diamètre et pesant 4 tonnes... mais très peu utilisé. Ces grand télescopes préfigurent l'avènement des grands télescopes réflecteurs du XXème siècle. Mais les lunettes restent encore pour quelque temps à l'avant-plan.


Lunette de Lick



Lunette de Yerkes

 

La première véritable grande lunette moderne, construite par Fraunhofer et installée par Struve (1793-1864) en Russie mesurait 24 cm de diamètre pour 4,3 m de focale. Ensuite verront le jour à Pulkovo près de St Petersbourg une lunette équatoriale de 38 cm et de 6,88 m de focale puis encore en 1866 une lunette géante de 76 cm de diamètre. C'est l'époque où on voit apparaître de nombreux instruments géants : à Berlin et Potsdam, à Vienne, à Greenwich, Nice et Meudon, et enfin aux Etats-Unis (Charlottesville, Washington, Pittsburgh, Lick, Yerkes).

 

 

 

 

 

Celle de Lick (1888) fera 89 cm de diamètre pour 17 m de focale. celle de Yerkes (1897), toujours en service aujourd'hui, fait 1 m de diamètre et 19 m de focale. Ces lunettes sont parfaites pour étudier les planètes et les étoiles doubles. Combinées à la photographie, les lunettes installées dans le monde entier permettent d'élaborer une carte photographique du ciel, sur base de 18 instruments identiques (33 cm de diamètre, 3,4 m de focale) construits par Paul et Prosper Henry.

Les lunettes pour les grands observatoires n'ont cependant plus d'avenir : la spectroscopie et la photographie exigent des instruments plus lumineux et il est impossible de couler, polir et soutenir des lentilles au bout de tubes de 20 m de long. Les télescopes à miroir, plus compacts et plus facile à réaliser (une seule surface à polir) vont l'emporter. Les astronomes aussi délaissent planètes et étoiles pour se tourner vers les objets moins lumineux, ces objets pâles et flous qu'on nomme alors du terme générique les " nébuleuses " et pour lesquels il faut des instruments de grand diamètre. Ce sont ces derniers qui révéleront la véritable nature de ces objets.

Délaissées par les grands observatoires, les lunettes ont encore de beaux jours devant elles parmi les astronomes amateurs, tant pour les lunettes achromatiques que pour les apochromatiques (celles pour lesquelles l'aberration chromatique est quasi éliminée par l'emploi d'une optique complexe et des lentilles spéciales, mais moyennant un coût élevé). C'est que ces instruments procurent en général des images piquées, bien contrastées et supérieures à un télescope à miroir de même diamètre, avec une remarquable finesse d'image après une mise à température rapide. En particulier, les lunettes apochromatiques sont maniables, légères, de taille modeste et faciles à transporter. Leur domaine de prédilection reste les planètes et étoiles doubles ou encore les images photo ou CCD en raison de leur grand champ.


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