La comète du siècle
McNaught C/2006 P1

Emmanuël Jehin [1, 2] et Jean Manfroid [1]

1. Institut d'Astrophyisque et de Géophysique de l'Université de Liège
2. Observatoire Européen Austral (ESO)

Article paru dans la revue le Ciel (février 2007) de la Société astronomique de Liège (SAL)
et dans le bulletin du Groupe Astronomie de Spa (GAS).


C’est dans une désolante apathie médiatique que s’est déroulé l’un des spectacles les plus grandioses de la nature, une manifestation céleste qui aurait fait trembler les anciens et dans laquelle ils auraient vu l’annonce d’événements glorieux ou de terribles catastrophes. Peut-être manquait-il un sponsor cigarettier à la comète C/2006 P1 McNaught ?

Cette comète a été découverte par Robert H. McNaught le 7 août 2006 avec le télescope Schmidt « Uppsala » de 50 cm de l’observatoire de Siding Spring, en Australie. C’est la 29e comète découverte au moyen du Schmidt Uppsala depuis le début 2004 dans le cadre du projet Siding Spring Survey, un recensement d’astéroïdes potentiellement dangereux. Grâce à ce télescope et à deux autres se trouvant en Arizona, pas moins de 400 astéroïdes pouvant s’approcher de la Terre (Near Earth Asteroids, NEA) ont été découverts en 2006. Pour R.H. McNaught, il s’agit de sa 31e comète !


Première image de C/2006 P1
.
La comète était de magnitude 17.3 et montrait une faible coma de 20 secondes d'arc de diamètre. Le champ fait 13 minutes d'arc de largeur.
Pose de 20 secondes, le 7 août 2006 avec le Schmidt de 20 pouces de Siding Spring (sous la coupole).


C/2006 P1 est une « nouvelle » comète venant directement du nuage de Oort. Pour les astronomes, elle est donc plutôt semblable à la comète Hale-Bopp (C/1995 O1) qu’à 1P/Halley par exemple, qui est périodique. Mais peut-être reviendra-t-elle dans des milliers d’années ?

Très faible lors de sa découverte, l’éclat de C/2006 P1 s’est progressivement accru mais il n’atteignait pas encore la 8e magnitude lorsque, s’approchant du Soleil, la comète se perdit dans le crépuscule en novembre. Toutes les hypothèses étaient alors envisagées. Reverrait-on la comète en janvier lorsqu’elle se serait dégagée angulairement du Soleil, ou aurait-elle disparu, évaporée sous la chaleur de l’astre du jour…

La comète fut retrouvée dès la fin de l’année plus brillante que prévue aux alentours de la magnitude 4 et, à la surprise générale, son éclat augmentait de jour en jour tandis que sa trajectoire l’amenait au périhélie. A la mi-janvier elle est passée très près du Soleil, à 0,17 unité astronomique, soit deux fois plus près de l’astre du jour que Mercure, et on notait une magnitude de -4 ou -5. Cette brillance étonnante est évidemment due principalement à l’augmentation d’activité provoquée par l’intense rayonnement solaire. Mais un autre phénomène est entré en jeu, bien connu des ménagères, et qui rend visibles les poussières à contre-jour. Cet effet de « forward scattering » ou « diffusion vers l’avant » a peut-être fait gagner de précieuses magnitudes à McNaught jusqu’à la rendre assez facilement visible en plein jour avec une magnitude surpassant celle de Vénus.

Avant le périhélie, la comète était bien placée en soirée pour les observateurs de l’hémisphère nord. À condition bien sûr de ne pas avoir un horizon bouché, car elle restait très basse sur l’horizon (moins de 10 degrés). À condition aussi de ne pas profiter des dépressions qui ont continuellement rempli le ciel belge d’une épaisse couche nuageuse...
De fait, dans nos régions, le ciel est resté obstinément couvert. L’évolution de la comète n’a pu être suivie que grâce aux observations faites depuis d’autres pays, ou par des télescopes spatiaux lorsque la comète était au voisinage du Soleil.
De jolies images ont pu être obtenues depuis la région de Munich à l’occasion de brèves éclaircies (nous présentons ci-dessous des images fournies par Jean-Luc Dighaye d’EurAstro, et par Martin Dietzel depuis le siège de l’ESO).



Le 9 janvier en début de soirée, quelques éclaircies apparues dans le ciel de Munich permirent à C.Poizat et J.L. Dighaye
d'observer la comète qui se couchait en jouant à cache-cache avec les nuages. Magnitude estimée aux environs de -2.
Nikon D100, 550mm f/6.3 Maksutov, ISO 200, poses de 1/8s à 1/2s.




Le 10 janvier, toujours depuis Munich, la comète put être apercue épisodiquement.
Cette pose de 1.5s a été prise par Martin Dietzel avec un Canon EOS 10D muni d'un télé de 400mm à f/5.6.
Comme pour toutes les images présentées ici, aucun guidage spécifique n'a été utilisé.


J.-L. Dighaye note que la comète était aisément visible en plein jour aux jumelles et, finalement, à l’œil nu le 13 janvier une demi-heure avant le coucher du Soleil. La magnitude était estimée à -5 ou -6. La faible élongation par rapport au Soleil la rendait cependant moins spectaculaire que les jours précédents après le coucher du Soleil.



Autres vues de la comète le 10 janvier par Jean-Luc Dighaye




Le 13 janvier, la comète était visible aux jumelles durant la journée et
est devenue visible à l'oeil nu 1/2 heure avant le coucher du Soleil.
Photo depuis Munich par Jean-Luc Dighaye (Nikon D100 avec un télé de 550mm à f/6.3 Maksutov)


C’était alors le moment de s’intéresser aux observations depuis l’espace. Là, pas de problème de météo mais les plus puissants observatoires spatiaux tels que Hubble (HST) et Spitzer sont incapables d’observer près du Soleil. Heureusement, plusieurs télescopes destinés à l’étude du Soleil ont pu apercevoir la visiteuse.

Le vénérable observatoire solaire SOHO (NASA/ESA) est en fait un habitué des comètes. Il s’agit d’ailleurs du plus grand chasseur de comètes de tous les temps avec déjà plus de 1200 découvertes à son actif – découvertes généralement faites par des amateurs qui scrutent les images SOHO publiées sur le web. Habituellement ce ne sont que de petites comètes frôlant le Soleil, ou s’y précipitant et, pour la plupart, elles font partie des débris d’une ou l’autre grosse comète qui s’est fragmentée il y a quelques siècles en passant très près du Soleil. Les comètes « sungrazers » du groupe de Kreutz en sont l’exemple le plus frappant. Parfois, la chance permet de capturer un plus gros gibier, comme la comète NEAT C/2002 V1 en 2003 ou 96P Machholz en 2002.

Ce fut aussi le cas pour notre comète qui traversa le champ du coronographe LASCO 3 de SOHO du 12 au 16 janvier avec en prime, le 14, une conjonction de la planète Mercure (voir image ci-dessous). La comète était tellement brillante que l'image de McNaught est fortement saturée (ce qui se remarque à la ligne horizontale, une espèce de moustache, barrant le noyau), preuve de l’éclat extrême de la nouvelle comète.

La comète McNaught traverse le champ du coronographe LASCO 3 de SOHO du 12 au 16 janvier 2007.
Voir aussi l'animation suivante (@SOHO/NASA).


Un nouvel observatoire spatial solaire de la NASA, STEREO, a fait ses premières armes avec une image de la comète. En effet la toute première image prise par son « imageur héliosphérique » SECCHI-HI, le 11 janvier, a révélé l’astre chevelu dans toute sa splendeur. Cette caméra observe l’espace entre la Terre et le Soleil afin de déceler des tempêtes solaire pouvant menacer notre planète. Sur cette image, la queue de la comète s’étend sur 7 degrés et présente une série de stries, préfigurant l’évolution qu’elle allait connaître ensuite.



Vue de la comète entre le 11 et le 18 janvier par la caméra SECCHI-HI de l'observatoire
spatial STEREO. La queue de la comète présente des stries très prononcées.
Voir aussi l'animation spectaculaire de ce passage.



Après le passage au périhélie, ce fut au tour des observateurs de l’hémisphère sud de profiter du spectacle. Et quel spectacle ! Repérée en plein jour par un des auteurs (EJ) avec des jumelles le 15 janvier depuis Paranal, elle fut visible à l’œil nu le lendemain quelques minutes après le coucher du Soleil, jouant à cache-cache avec de malheureux nuages présents au-dessus du Pacifique. Le 17 janvier, sa brillance dans le ciel crépusculaire augurait d’un événement exceptionnel. Il s’était formé tout un éventail de queues.
Les premières soirées, seule leur extrémité dépassait de l’horizon car le noyau était trop près du Soleil. Ces draperies faisaient penser à une aurore polaire. En s’écartant du Soleil, la comète devint visible dans son entièreté les nuits suivantes et dévoilait son extraordinaire parure.



Telle une aurore boréale, une multitude de queues apparaissent clairement le 18 janvier dans le ciel noircissant de Paranal,
une vingtaine de minutes après le coucher de la comète sur l'Océan Pacifique.
Canon ESO 350D, 35mm zoom à f/4,5, 30secondes de pose à 1600 ISO (@ Emmanuël Jehin)



À partir du 19 janvier, la comète pouvait en effet être observée de plus en plus longtemps dans un ciel presque totalement noir. Le spectacle était alors magnifique : la queue de la comète, fortement courbée et présentant un fort gradiant de brillance, s’étendait sur plus de 30 degrés pour toucher de nouveau l’horizon ! La structure complexe de la queue est tout à fait remarquable avec ces nombreux « rayons » régulièrement espacés, visibles à l’œil nu dès que le ciel était assez noir.
Le 20 janvier, c’est une conjonction rapprochée entre un croissant de Lune de deux jours et Vénus qui est venu s’ajouter au décor... Un spectacle bien calculé dont seule la nature à le secret. Quelques jours plus tard, la Lune croissante est devenue de plus en plus gênante, effaçant progressivement les délicates volutes des parties les plus lointaines et faibles de la queue. D’autant plus que la comète s’éloignait chaque jour un peu plus du Soleil et de la Terre (perdant environ 0.5 magnitude par jour).
Les photos d’après le périhélie que nous présentons ci-dessous ont été prises par Emmanuël Jehin depuis l’observatoire de l’ESO de Cerro Paranal situé à 2500 m d’altitude dans le désert de l’Atacama.



La comète se déploie majestueusement le 18 janvier au dessus d'un des "petits" télescopes auxiliaires (AT pour Auxiliary Telescope) du VLTI (l'interféromètre du VLT). Ces télescopes ont été construits par la firme liégeoise AMOS. Vénus se couche au dessus de la passerelle d'accès à la plateforme où se trouvent les télescopes.
Canon EOS 350D, 35mm zoom à f/5,0, 30 secondes de pose à 400 ISO. (@ Emmanuël Jehin)





Photo réalisée le 20 janvier depuis la plateforme du VLT. La Lune est en conjonction avec la queue de la comète. Vénus vient de se coucher.
Deux AT du VLTI ainsi que le réseau de rails sur lesquels ils se déplacent sont visibles sur cette image.
Canon ESO 350D, 18mm zoom à f/3,5, 72 secondes de pose à 1600 ISO. (@ Emmanuël Jehin)



Photo réalisée le 21 janvier depuis le site du nouveau télescope infrarouge à grand champ (VISTA) de l'ESO, situé à 2km à l'est de Cerro Paranal.
La couche de nuages qui recouvrent presque continuellement l'océan est bien visible, grâce à l'éclairage de la Lune.
Canon EOS 350D, 20mm zoom à f/4,5, 80 secondes de pose à 1600 ISO. (@Emmanuël Jehin)

Des comètes présentant plusieurs queues ont déjà été observées par le passé, la plus célèbre étant sans doute celle de 1744 (de Chéseaux) pour laquelle la comparaison avec une aurore avait aussi été évoquée. L’origine de la multiplicité des queues était cependant mystérieuse.



Le dessin d'époque ne rend certainement pas justice
à la comète de Chéseaux de 1744 et ses multiples queues





Plus près de nous, la comète West en 1976 (voir image ci-dessous) avait montré une queue étalée avec de nombreuses stries. Au cours du XXe siècle, les comètes Seki-Lines 1962 II, Mrkos 1957 V ainsi que la grande comète 1910 I avaient suscité la curiosité avec des appendices analogues. On comprend maintenant mieux la formation de ces structures.
Plusieurs phénomènes sont en jeu. Il y a bien sûr le fait que, tournant vite autour du Soleil, les jets émis par le noyau prennent successivement des directions différentes. La rotation du noyau sur lui-même intervient donc puisque l'activité des sources est contrôlée par le rythme jour-nuit de la comète. Une fois éjectée, les poussières sont soumises aux lois de la mécanique céleste, c'est-à-dire à la force de gravitation, mais aussi à des forces non gravitationnelles comme la pression de rayonnement et celle du vent solaire. Plus les poussières sont fines, plus l'influence de ces forces non gravitationnelle est importante. Il apparaît ainsi une ségrégation des grains de poussière en fonction de leur masse. L'effet est d'autant plus complexe qu'intervient la désagrégation progressive des grosses particules en poussières de plus en plus fines dont les mouvements sont différents. La fragmentation de gros grains le long de leur trajectoire serait ainsi à l'origine de stries inclinées par rapport à la queue générale. L'explication détaillée du phénomène reste cependant à établir.

Le caractère exceptionnel de cette comète apparaît lorsqu’on la compare aux plus belles comètes des derniers siècles. La comète de 1744 dont nous avons parlé a atteint la magnitude –7 et était visible en plein jour. Comme McNaught, c’est quelques jours après le périhélie qu’elle a montré une demi-douzaine de queues. Il s’agit donc peut-être de l’astre que l’on peut le mieux comparer à McNaught.
En 1976, la comète West a montré une queue très large, mais moins structurée que McNaught. Elle n’a pas non plus atteint une magnitude comparable de sorte qu’on doit remonter à 1965, avec la fameuse comète Ikeya-Seki, pour trouver un astre plus brillant. Son noyau a peut-être frôlé la magnitude –15 et était visible sans difficulté en plein jour. Au lieu d’un éventail, cette comète présentait une très longue queue torsadée. L’aspect offert par une comète peut dépendre d’une foule de paramètres comme l’orientation de l’axe de rotation du noyau et la position des sources des jets à sa surface, ainsi que de la position de la Terre par rapport à l’orbite.


En 1976, la comète West (C/1975 V1) montrait aussi une queue striée.
Photo réalisée au début du mois de mars 1976 par Peter Stättmayer depuis Munich (Allemagne)




Ikeya-Seki fut probablement la plus brillante des comètes du xxe siècle mais deux autres, en 1910 et 1927, n’étaient pas loin derrière. Enfin, remontant un peu plus loin, on ne peut manquer de parler de la comète de septembre 1882 qui, semble-t-il, doit être classée dans une catégorie à part de super-comètes, tant elle était exceptionnelle. On parla, peut-être avec une certaine exagération, d’une magnitude de -20. Un tel astre attirerait-il de nos jours l’attention de nos médias ?


La comète Ikeya-Seki, phototgraphiée par Dr Roger Lynds en 1965



L’extension de la queue était considérable et, en s’incurvant vers le nord, ses extrémités atteignaient les zones visibles depuis l’hémisphère nord, ce qui était tout à fait inattendu. C’est ainsi que les pseudo-aurores avaient pu être photographiées depuis le Colorado dès le 17 janvier. Ensuite, pendant plusieurs jours, des observateurs de l’hémisphère boréal s’évertuèrent à voir le bout des queues de la comète. Il fallait des sites d’altitude et un ciel d’une grande pureté pour distinguer ainsi quelques bandes.


Composition de deux photos de la comète McNaught prises le 20 janvier 2007 depuis Cerro Paranal dans l'hémisphère sud (à gauche, par S. Deiries, ESO) et le 19 janvier depuis les Alpes de Carnic, en Italie dans l'hémisphère nord (à droite, par M. Fulle, APOD le 24 janvier). La queue était si grande qu'elle était visible des deux hémisphères. L'image couvre 65 degrés en déclinaison, de -50 degrés Sud (constellation de la Grue) à +15 degrés Nord dans Pégase (à droite), équivalent à environ 150 millions de kilomètres, soit environ la distance de la Terre au Soleil.



La Grande Comète de 2007 s’éloigne maintenant, mais au moment où nous écrivons ces lignes elle reste encore bien visible pour l’hémisphère sud, et ce malgré la Lune ou, dans une certaine mesure, les lumières urbaines.


La comète vue depuis les hauteurs de Santiago du Chili.
© Stéphane Guisard,
www.astrosurf.com/sguisard


Au grand dam des astronomes, lorsqu’elle resplendissait de tous ses feux, la comète a toujours été trop basse pour être observée avec les grands télescopes.
Si de superbes images ont pu être obtenues, les spécialistes auraient bien aimé pouvoir profiter des équipements sophistiqués du VLT par exemple, pour dévoiler les secrets de ces astres qui restent encore bien mystérieux.


Quelques liens où admirer la comète :

- McNaught depuis Paranal :
http://www.groupeastronomiespa.be/mcnaught/

- McNaught depuis Siding-Spring :
http://msowww.anu.edu.au/~rmn/C2006P1new.htm
http://members.ozemail.com.au/~loomberah/mcnaught.htm

- Galeries photo à travers le monde :
http://www.spaceweather.com/comets/gallery_mcnaught.php
http://skytonight.com/community/gallery/skyevents/5129766.html

- Les photos depuis l’ESO :
http://www.eso.org/outreach/press-rel/pr-2007/pr-05-07.html

- Observations scientifiques de McNaught au NTT (La Silla) par les auteurs et collaborateurs
(ESO PR):

http://www.eso.org/outreach/press-rel/pr-2007/pr-07-07.html

- Gary Kronk's cometography :
http://cometography.com/lcomets/2006p1.html

- Seiichi Yoshida's McNaught webpage :
http://www.aerith.net/comet/catalog/2006P1/2006P1.html

- McNaught passe près du Soleil : le film de SOHO sur APOD :
http://antwrp.gsfc.nasa.gov/apod/ap070120.html

- Les grandes comètes du passé :
http://cometography.com/past_comets.html




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